DOSSIER DU MOIS #Novembre 2019 : Magie d’un hiver en Laponie. Rencontre avec le réalisateur Guillaume Maidatchevsky, à l’occasion de la sortie en DVD de son très beau conte animalier « Aïlo, une Odyssée en Laponie ». Un film familial, drôle et touchant dans les pas d’un petit renne répondant au doux nom d’Aïlo… Une migration comme une ode à la beauté sauvage des grands espaces des Laponie norvégienne et finlandaise.
Dans quels pays votre métier de réalisateur / globe-trotter animalier vous a-t-il déjà entraîné ?
J’ai principalement tourné en Afrique : Namibie, Tanzanie, Afrique du Sud, Kenya, Botswana… À l’origine, je suis biologiste de formation. Avec une spécialisation sur les récifs coralliens. Je me rêvais Daktari [ndlr : célèbre médecin des animaux dans la série éponyme], je voulais partir au bout du monde… La réalisation m’a permis d’atteindre cet objectif. Je suis un pur autodidacte, le terrain m’a formé.
Pour mon tout premier reportage, j’étais au Canada, au cœur des vastes forêts de Colombie-Britannique, pour filmer des loutres de mer.
Après plus de 10 ans de réalisations TV, Aïlo est mon premier long-métrage cinéma. Une autre aventure, un autre monde… Pour autant, l’équipe n’était pas beaucoup plus grande sur ce projet que sur des documentaires TV. Comme nous filmons des animaux sauvages, on ne peut pas être 40 personnes sur un plateau. Ce sont la patience et la discrétion qui priment.
Pourquoi avoir choisi la Laponie pour votre dernier projet ?
L’initiative vient de mes enfants. À travers l’image qu’ils avaient des rennes du Père Noël, j’ai réalisé qu’ils connaissaient finalement mieux les animaux d’Afrique que ceux proches de chez eux. Je voulais montrer qu’il n’est pas toujours nécessaire de voyager loin pour voir des animaux sauvages évoluer dans leur milieu naturel. En tant que réalisateur, je trouvais également intéressant de filmer le froid. C’est un élément aussi fort que visuel. À l’écran, on ressent toute sa dureté. C’est quelque chose de beaucoup plus compliqué à transcrire sur un milieu chaud.
Je voulais me concentrer sur une proie. Quand vous filmez un lion, vous savez qu’il ne va rien lui arriver. Il est le roi, le prédateur principal. Il n’y a pas de suspense. La proie, quant à elle, est constamment obligée de regarder derrière elle et ce dès sa naissance.
Où avez-vous tourné exactement ?
Cette vue dans le Parc national du Riisitunturi (Finlande), avec ces sapins disparaissant sous la neige, n’existe que quelques jours par an. Il suffit d’une bourrasque de vent pour qu’il n’y ait plus rien… Magique !
La plupart des plans dans les montagnes ont été tournés en Laponie norvégienne, près de Tromsø. C’est ici, dans un fjord sur les hauteurs de la ville, qu’Aïlo retrouve le troupeau. Un lieu à la hauteur de la beauté de l’instant… Pour la majorité des scènes dans les forêts, nous avons suivi Aïlo en Laponie finlandaise, dans la région d’Utsjoki, à l’extrémité Nord du pays. Toujours en Finlande, nous avons posé nos caméras dans les forêts brumeuses de Posio. Situé à la lisière de la Russie, ce bourg est connu pour ses céramiques. Les couleurs de l’automne y étaient éblouissantes et l’hiver magique. Encore plus que dans mes rêves…
L’automne est un feu d’artifice où la nature vous dit au revoir avec panache, avant d’entrer dans le tunnel noir et blanc des six prochains mois.
Entre le repérage et le tournage, vous avez passé près de 200 jours en Laponie, quels moments retenez-vous de ce séjour ?
Au-delà de la force de l’instant, la naissance d’Aïlo a été cruciale. Les femelles étaient distantes. Une seule restait proche de nous. Était-elle gestante ? Nous ne le pensions alors pas. Finalement, au bout de 6 jours à essayer de filmer l’arrivée d’un petit, cette femelle – la mère d’Aïlo – s’est écartée du troupeau pour mettre bas à seulement 5 mètres de nous… En ouvrant les yeux, le bébé a vu sa mère, les autres rennes et nous. On a tout de suite fait partie de son cercle de confiance. Sa mère ne nous craignant pas, lui non plus… Je pouvais l’approcher de très près, ce qui n’était pas possible avec les autres petits rennes.
Quand on ne tournait pas, je me posais et je prenais un café tandis qu’il dormait à 2 mètres de moi… Une émotion pure…
Il y a un seul Aïlo dans la vie et dans le film. Il ne fallait surtout pas le toucher, trahir sa confiance, l’animal doit toujours sentir qu’il peut partir quand il le veut.
De nombreux animaux se sont invités sur le tournage d’Aïlo, notamment un renard polaire, vif et charismatique à l’image. La rencontre la plus angoissante reste l’ours. Un prédateur peu présent dans le film mais impressionnant. On mesure le danger en sa présence… Plus féerique comme un instant, j’ai vu pour la première fois des aurores boréales lors de mes repérages. Un moment rare.
En quoi la Laponie vous a-t-elle surprise ?
À seulement 3h d’avion de chez nous, il existe encore une terre où l’on peut marcher des jours et des jours sans voir personne…
C’est un peu le Grand Nord européen, l’un des derniers territoires sauvages de notre continent. Les américains ont l’Alaska, nous avons la Laponie ! Il reste aujourd’hui peu de rennes sauvages là-bas. Aïlo raconte l’histoire d’une migration qui bientôt disparaîtra. La plupart de ces animaux sont semi-domestiques. Les éleveurs Samis veillent sur eux. Comme ils l’expliquent, ce sont les rennes qui les dirigent, non l’inverse.
Avez-vous eu l’occasion de retourner en Laponie depuis la fin du tournage ? Avec vos enfants ?
Pendant le tournage, au moment de Noël, j’avais pu passer une semaine sur place en famille. Je voulais que mes enfants comprennent où je travaillais. Depuis, j’y suis revenu pour l’avant-première du film, en début d’année. J’adorerais y repartir ! Dans de beaux hôtels cette fois-ci car, sur le tournage, le confort était plutôt rudimentaire [rires]. Dans les montagnes norvégiennes, nous dormions en lavvu – la tente traditionnelle du peuple Sami. Par – 20°, nous devions nous relayer pour rallumer le feu.
Quels sont vos prochains projets ?
Le premier sera consacré aux récifs coralliens. Je renoue avec mes racines ! Nous allons raconter l’histoire d’un hippocampe qui, avec le réchauffement climatique, voit son récif mourir. Il va devoir partir à la recherche d’une autre terre d’accueil. Le tournage se fera entre l’Indonésie et l’Australie. La vraie vie de Nemo en somme ! Un second projet qui me tient à cœur serait de suivre le renard polaire présent dans Aïlo.
Ce qui m’intéresse quand je filme, c’est l’individu plus que l’espèce. Comme chaque humain, chaque animal a son caractère.